Rapport 2019-2020
Enquête sur les victimes de violences policières en manifestation
Rapport d’enquête de l’Observatoire des Street-médics sur les victimes de violences prises en charge par les secours inofficiels durant les manifestations Gilets Jaunes et Retraites en France.
Version 1.2 – Publié le 31 Mars 2022
Synthèse
La présente enquête étudie les victimes et blessures résultantes de l’usage de la force par les autorités sur les rassemblements revendicatifs, en surmontant les biais et contraintes habituellement imposées par le dispositif de sécurité.
Elle propose et expérimente une méthodologie inédite adaptée aux spécificités du secours en manifestation et aux contraintes inhérentes à ce contexte, et notamment l’inaccessibilité des secours conventionnels, en s’appuyant sur le réseau de secours inofficiel constitué par les équipes de street-médics et secouristes volontaires. Cette méthode est appliquée à l’analyse de 145 rassemblements prenant place dans le cadre du mouvement des Gilets Jaunes et mouvement contre la réforme des Retraites du 23 février 2019 au 14 mars 2020 en France. Sur cette période, il a été établi au travers des bilans journaliers de 87 équipes différentes un recensement de 2.841 victimes ayant été prises en charge auquel s’ajoute un décompte de 29.500 décontaminations superficielles des gaz lacrymogènes (hors décontaminations longues prises en charge).
Elle montre que l’essentiel des victimes prises en charges (92.9%) ont été blessées par les armes, manœuvres et actions des forces de l’ordre, tandis que les autres facteurs ne contribuent que marginalement à la survenue de victimes, avec 3.3% de causes externes et environnementales, 3.0% dû aux actions des manifestants et 0.8% non attribuables. Parmi ces victimes, deux tiers des atteintes sont des blessures traumatiques, principalement aux membres et à la tête provoqués par des frappes de tonfa et de matraque, lanceurs (LBD et flashball) et grenades cinétiques. Il est relevé par ailleurs que plus d’une blessure traumatique sur six (18.1%) est située à la tête, et jusqu’à 43.8% pour les seules frappes de matraques et tonfa. Il s’agit de taux particulièrement inquiétants au vu des risques pour la santé et la sévérité des blessures associées à cette zone. Enfin, un tiers des victimes souffrent de troubles non-traumatiques principalement respiratoires et anxieux résultants de l’exposition à des agents lacrymogènes (CS et OC). Les gaz lacrymogènes sont notamment responsables d’un taux très important de victimes non-manifestantes, avec entre autres 8.8% de passants, enfants (⩽ 12 ans) et personnes très âgées (⩾ 80 ans). Dans l’ensemble, 9.7% des victimes ont nécessité une prise en charge professionnelle ou médicale d’urgence.
Sur la base de ses mesures, cette enquête apporte une nouvelle estimation statistique de 27.800 (±3360) personnes qui aurait été blessées dans les manifestations sur l’ensemble des mouvements Gilets Jaunes et Retraites – soit une prévalence 5 fois supérieure à celles des autres rassemblements avec 6.18 victimes pour 1000 participants. Le nombre de personnes affectées par les gaz lacrymogènes, estimé à 311.000 (±47.000), nous semble quant à lui d’autant plus important qu’aucune tentative de quantification n’a été réalisée précédemment.
Elle dépasse ainsi les seules prises en charge par les sapeurs-pompiers (2.495 du 17 novembre 2018 au 14 octobre 2019 selon le Ministère de l’Intérieur) pour permettre une quantification de l’ensemble des personnes bléssées, avec une estimation de 25.700 (±3200) victimes sur la même période, ainsi que 275.000 (±45.000) personnes affectées par les gaz lacrymogènes. Des chiffres par ailleurs beaucoup plus cohérents avec les autres indicateurs disponibles, tel que le nombre de munitions et de grenades utilisées par les forces de l’ordre.
Ces résultats, qui interrogent quant au respect des principes de proportionnalité et de nécessité constituant la base légale de l’usage de la force, soulèvent l’enjeu des risques et sur-risques élevés causés par les stratégies de maintien de l’ordre à la sécurité des manifestants, tant par leur violence directe que leur entrave de l’accès aux soins, et appellent à une profonde prise de conscience de ses conséquences sur l’exercice des droits des manifestants et à l’essentiel contrôle démocratique que doit exercer la société civile sur l’emploi de la force publique réalisée en son nom.
À propos
L’Observatoire des Street-médics et secouristes volontaires documente et analyse les victimes de violences policières prises en charge par les secours non-conventionnels dans les manifestations. Depuis sa création à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes par une coordination d’acteurs du secours présents sur le terrain souhaitant alerter sur l’ampleur et la gravité des violences subies par les manifestants, il a publié 39 rapports recensant un grand nombre de personnes blessées par les forces de l’ordre et documentant de nombreux cas de violences et d’abus subis par les secouristes à l’occasion de leur mission d’assistance.
Le présent rapport constitue une synthèse de plus de deux ans de recensement et analyse dans une perspective plus générale les conséquences médicales de l’usage de la force par les forces de l’ordre sur les rassemblements.
Derniers rapports de l’Observatoire
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